Pour en finir avec les mythes

Marlyse Tschui

« La vie des couples commence lĂ  oĂą finissent les contes de fĂ©es. » DrĂ´le d’aventure que le mariage, parsemĂ©e d’obstacles, de rĂŞves déçus, de sentiments inavouables. Mais elle est aussi, comme le remarque Robert Dreyfuss, « un lieu privilĂ©giĂ© d’expĂ©rience de vie et de crĂ©ativité ». Les mariages qui battent de l’aile, il connaĂ®t. Au bĂ©nĂ©fice d’une double formation de mĂ©decin interniste et de psychiatre, il a dirigĂ© pendant dix ans le service des consultations conjugales. Le livre qu’il publie aujourd’hui sort du lot, incontestablement. N’y cherchez aucune recette. Pour la rĂ©flexion, en revanche, vous serez servi…

Robert Dreyfuss, quel est le principal écueil que rencontre un jeune couple au début de sa vie commune?

Le refus de toute la partie inconfortable ou difficile de la relation. Le refus des inconvĂ©nients et des frustrations de la vie commune. C’est aussi un fait de sociĂ©tĂ©, puisqu’on nous prĂ©sente toute chose comme Ă©tant immĂ©diatement accessible, y compris le bonheur. Le mythe du couple idĂ©al, entretenu par les mĂ©dias, est inscrit dans l’inconscient de chacun. Au dĂ©but du mariage, l’amour se vit sur le mode fusionnel. On veut se sentir pareil et on s’illusionne lĂ -dessus. Les problèmes apparaissent gĂ©nĂ©ralement quand dĂ©bute le processus de sĂ©paration. Certaines personnes n’acceptent pas que l’autre ait une identitĂ© Ă  part entière. Or le dĂ©sir de fusion peut dĂ©truire le couple s’il devient une dĂ©pendance, s’il implique la volontĂ© de crĂ©er une identitĂ© de goĂ»ts et d’idĂ©es, si toute diffĂ©rence apparaĂ®t comme intolĂ©rable.
Comment s’explique ce dĂ©sir d’assujettir l’autre Ă  ses propres besoins?

Dès la naissance, l’amour est tressĂ© de brins très diffĂ©rents qui constituent le lien entre le nourrisson et sa mère. A sa venue au monde, après avoir vĂ©cu en symbiose avec sa mère dans la matrice physique, le bĂ©bĂ© est enveloppĂ© d’une matrice psychique. La symbiose est pour lui source de bonheur, mais il Ă©prouve des sentiments contradictoires, comme la haine d’ĂŞtre sĂ©parĂ© de sa mère. Le fait de ne plus faire un avec la mère suscite une haine primordiale qui est en mĂŞme temps pour le tout-petit une affirmation de sa façon d’ĂŞtre. Le refus, les frustrations provoquent Ă©galement chez lui dĂ©tresse et colère. L’amour adulte provoque une rĂ©activation de ces forces Ă©lĂ©mentaires. On voudrait Ă  la fois revivre les choses heureuses, les dĂ©passer, et obtenir de l’autre qu’il rĂ©pare ce qui a Ă©tĂ© blessĂ©. La dĂ©nĂ©gation de cette rĂ©alitĂ© affective fait les dĂ©ceptions et les ruptures du couple.

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couple en relations

Dans votre livre, vous analysez longuement des sentiments nĂ©gatifs comme la haine, la jalousie, l’envie. A priori, il est difficile d’accepter que l’on puisse Ă  la fois aimer et haĂŻr son conjoint…

La haine s’Ă©prouve quand l’autre ne correspond pas Ă  ses dĂ©sirs ou qu’il est source de frustrations. C’est un mot très fort que l’on n’Ă©voque pas volontiers. Les sentiments nĂ©gatifs sont l’envers de la tapisserie. C’est cet envers qu’il faut accepter en soi. Parfois, les gens s’effraient d’Ă©prouver de l’hostilitĂ© Ă  l’Ă©gard de leur conjoint. Cela n’a rien d’inquiĂ©tant et ne constitue pas forcĂ©ment une menace pour le couple. Nous portons tous en nous cette ambivalence. Ce qui fait problème, en revanche, c’est le refus d’admettre de tels sentiments parce qu’ils nous font peur. Ce n’est qu’en reconnaissant nos Ă©motions et en les resituant dans notre propre histoire que nous pourrons leur donner un sens et comprendre en quoi nous sommes diffĂ©rent de l’autre. La principale difficultĂ© que rencontre un couple est d’apprendre Ă  varier la distance. TantĂ´t en fusionnant, comme dans l’acte sexuel, tantĂ´t en s’Ă©loignant. Nous devons accepter ce que Proust appelait « les intermittences du coeur ». La distance est indispensable Ă  la vie de couple. Le dialogue, ce sont des mots qui traversent un espace. Pour qu’il y ait dialogue, il faut qu’il y ait distance, que chacun se sente une personne sĂ©parĂ©e. C’est un deuil Ă  faire: on est seul dans sa peau.

« La principale difficultĂ© que rencontre un couple est d’apprendre Ă  varier la distance. TantĂ´t en fusionnant, comme dans l’acte sexuel, tantĂ´t en s’Ă©loignant »

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– Le chemin du bonheur rĂŞvĂ© au bonheur rĂ©el passe-t-il toujours par les conflits?

– Oui. La vie de couple est par dĂ©finition une entreprise conflictuelle. L’erreur, c’est de croire que les conflits sont mauvais. Le conflit est crĂ©ateur. Il est lĂ  pour rĂ©soudre les problèmes vĂ©cus par deux personnes diffĂ©rentes. Ces deux ĂŞtres apportent avec eux une biographie, un vĂ©cu, des traditions familiales, des loyautĂ©s, mais aussi une part inconsciente qui se manifeste dans cette conjonction que reprĂ©sente la vie commune. On choisit souvent le partenaire qui nous oblige Ă  comprendre certaines choses de nous que nous ne voulions pas savoir. Autrement dit, on a le conjoint qu’on mĂ©rite, alors qu’on imagine gĂ©nĂ©ralement qu’on mĂ©riterait mieux! Les conflits apparents ne sont que les symptĂ´mes de tensions plus profondes qui poussent chacun Ă  en chercher la signification et Ă  se remettre en question personnellement. Le vĂ©cu est lĂ  non seulement pour aider Ă  dĂ©passer les conflits mais pour en faire un moteur d’Ă©volution. Si la voiture ne rencontrait pas la rĂ©sistance de la route, elle ne pourrait pas avancer. C’est en comprenant et en assumant les oppositions qu’un couple peut progresser de manière constructive. Il faudrait ouvrir des Ă©coles de dispute. L’art de la dispute, c’est un peu comme transformer une bagarre en joute…

 

Avez-vous l’impression que les gens divorcent trop facilement?

Non, le divorce n’est jamais une dĂ©cision facile Ă  prendre. Le divorce constitue un immense progrès par rapport Ă  une Ă©poque oĂą les couples Ă©taient condamnĂ©s Ă  vivre ensemble jusqu’Ă  la fin de leurs jours. Mais il crĂ©e de nouveaux problèmes et renvoie les gens Ă  leur libertĂ©, qui n’est pas facile Ă  assumer.

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Vaut-il la peine de souffrir pour sauver le couple?

Certainement, mais pas Ă  n’importe quel prix. Il y a parfois des choses qu’on ne peut plus endurer. Quand la vie commune devient insupportable, le divorce est souhaitable et heureux.

 

Qu’est-ce qui fait tenir les couples?

L’amour. J’y crois. Et le dĂ©sir. Mais pas la passion, qui projette dans le passĂ©. La passion n’est pas rĂ©prĂ©hensible, mais comme tout ce qui vit, elle doit se transformer. Vouloir vivre uniquement la passion, c’est une volontĂ© d’arrĂŞter le temps.

 

Pour en finir avec les mythes

  • Le couple ne veut pas changer d’identitĂ©, alors que tout l’y pousse dans ce processus d’adaptation mutuelle qu’est une vie Ă  deux qui dure.
  • Il n’est aucunement nĂ©cessaire de tout partager, de vibrer Ă  l’unisson dans tous les domaines pour former un couple heureux.
  • Bien se disputer est un art qui fait avancer les choses, comme au théâtre.
  • La peur et le refus de souffrir produisent une souffrance pire.
  • La guerre amoureuse est une guerre de libĂ©ration.
  • Toute rĂ©conciliation est d’abord une rĂ©conciliation avec soi-mĂŞme.
  • L’amour a besoin d’espace et de solitude.

Extraits de: « Le Pire avec le Meilleur » – R. Dreyfuss, Ed. Payot.