Bien des hommes craignent de s’engager affectivement et sabotent leurs histoires d’amour en adoptant des comportements destructeurs.

La plupart d’entre eux sont intelligents, pleins d’humour, bien élevés et plutôt avenants. Pour parfaire le tout, ils réussissent bien dans leur métier et sont souvent libres comme l’air. Une liberté dont ils ne savent apparemment que faire. A les entendre, ils ont grand besoin d’amour et d’affection. Romantiques à leurs heures, ils savent user et abuser de mille et un stratagèmes pour conquérir leur dulcinée. A peine l’ont-ils rencontrée qu’ils l’appellent trois fois par jour, la couvrent de cadeaux et veulent la voir tous les soirs comme s’il en allait de leur survie. Dans la foulée, ils troquent le je pour le nous, ébauchent plein de projets communs quand ils ne parlent pas mariage. Leur nouvelle compagne en est encore à se demander s’il n’y a pas erreur sur la personne qu’ils lui déclament des trucs insensés. Bref, c’est dire si, avec eux, tout va souvent très vite. Trop vite.

Voilà pour le premier signal d’alarme

Quant au couac, il se produit, généralement, au moment où l’heureuse élue, désormais en confiance, dévoile sa vulnérabilité en même temps que ses sentiments. C’est alors que ça commence à déraper. Car plus la femme se rapproche de son compagnon, plus celui-ci recule. A petits pas ou à grandes enjambées. Au point que ces amoureux transis en deviennent méconnaissables. Les plus prolixes vont se terrer dans le mutisme. Les plus admiratifs dénigrer celle qu’ils considéraient comme la huitième merveille du monde. Certains, qui étaient jusqu’alors disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, se réfugieront derrière un agenda surchargé. D’autres chercheront des querelles sans raison…
Par ces brusques revirements, ces hommes cherchent, ni plus ni moins, à fuir celle qu’ils aiment. Parce qu’ils sont, au fond d’eux-mêmes, effrayés à l’idée de s’engager dans une relation. « C’est, explique la psychologue américaine Susan Edwards, auteur d’un remarquable ouvrage* sur la question, comme s’ils étaient tiraillés entre deux forces puissantes. (…) Ils peuvent être fous amoureux et ressentir un profond besoin de fuir leur compagne. Selon le degré de leur peur, certains en arrivent à plaquer leur petite amie. »

Une expérience dont Annie, 35 ans, a fait les frais il y a trois ans

« J’ai rencontré François lors d’une réception. On s’est plu tout de suite. Une semaine après, il m’avouait non sans fougue qu’il m’aimait. J’ai trouvé qu’il allait un peu vite en besogne. Histoire de réfléchir, j’ai pris mes distances, l’espace d’un week-end prolongé. Ça l’a rendu dingue. Lorsque je suis réapparue, cet homme était à mes pieds. C’était à la fois excitant, étrange et flatteur. On s’est vus fréquemment durant deux mois. Il se montrait très disponible, serviable, galant et me donnait l’impression de vivre un conte de fées. Il parlait de me présenter à sa famille, à ses amis. Finalement, un soir, j’ai dormi chez lui. La nuit a été torride et, au réveil, François semblait nager en plein bonheur. Je suis partie au travail sans me douter de quoi que ce soit. » Depuis, François a disparu. « Les premiers jours, j’ai pensé qu’il avait besoin de recul. Puis j’ai essayé de le joindre chez lui et à son bureau, mais le téléphone sonnait dans le vide. Finalement, je lui ai écrit. En guise d’explications, il m’a envoyé trois lignes pour me signifier que tout était terminé entre nous. Un vrai coup de massue! Encore aujourd’hui, quand je repense à cette histoire, je n’y comprends rien. »

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Comme Annie, quantité de femmes ont vécu, une fois ou l’autre, ce genre de mésaventure. Et la plupart d’entre elles se sont demandé ce qu’elles avaient bien pu dire ou faire pour que leur amoureux prenne la poudre d’escampette. Or, bien souvent, elles n’y sont pour rien. C’est plutôt du côté des hommes qu’il faut chercher la cause. Chez ceux, du moins, qui souffrent de ce que certains psys appellent « le syndrome de la corde au cou »* ou encore « la phobie de l’engagement ». Un mal très oppressant qui ressemble à s’y méprendre à la claustrophobie et dont les causes sont multiples. Cela peut aller du refus de grandir à la peur d’être rejeté, de l’immaturité à un conflit oedipien, de l’égoïsme au narcissisme, d’une piètre estime de soi à un complexe d’infériorité masculin.

Selon l’enquête* menée aux Etats-Unis par Steven Carter, cette phobie se déclare dès que la relation amoureuse prend un tour trop sérieux. Alors notre phobique cherche toutes sortes d’excuses pour se débiner, mais comme il n’admet pas son incapacité à s’engager, il met la faute sur sa compagne, s’ingéniant à lui trouver des défauts. Pour parfaire ce portrait-robot: « C’est un homme qui dit une chose et en fait une autre, hésite, fluctue dans ses idées et dans ses actes, fait des promesses qu’il ne tient pas, est incapable de dire clairement oui ou non, avance d’un pas pour mieux reculer dans une relation, rêve de la perle rare, a un emploi du temps très cloisonné, n’aime guère planifier, préférant l’imprévu, a tendance à se calfeutrer derrière son répondeur téléphonique. »

Si son angoisse est très forte, le phobique de l’engagement peut se contenter de sortir une fois — une seule — avec la femme qui l’attire. C’est arrivé l’été dernier à Monique: « On avait été brièvement présentés lors d’une réunion de travail. Il m’a appelée pour m’inviter à son chalet. Nous sommes partis nous balader en montagne, avons pique-niqué au bord d’un lac. Ce fut une journée idyllique. Nous avions, semble-t-il, beaucoup de points communs. J’ai dû m’éclipser en fin d’après-midi en raison d’un concert. Quand on s’est quittés, il m’a embrassée en me glissant qu’il ne s’était pas senti aussi bien avec une femme depuis des années. Je ne l’ai plus jamais revu! »

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« Quand nous nous sommes quittés, il m’a embrassée en me glissant qu’il ne s’était jamais senti si bien avec une femme. Je ne l’ai plus jamais revu. »

peur de l'amourD’autres, à l’instar de François, attendent d’avoir consommé leur victime avant de se volatiliser. Et certains vont jusqu’à entamer un bout de relation. « Tant que je vivais à Québec et lui à Montréal, tout allait bien entre nous, se souvient Julie, 29 ans. Notre histoire s’est poursuivie ainsi durant un an. Puis il m’a proposé de le rejoindre. J’ai accepté, décroché un job et déménagé dans l’appartement qu’il avait déniché. A partir de là, tout a été de mal en pis. Il a trouvé moult prétextes pour ne pas emménager, m’a posé un nombre incalculable de lapins, me critiquait quand on se voyait, ne m’a présentée à aucun de ses amis. J’étais sidérée. Un soir, il m’a fait comprendre qu’il avait d’autres petites amies. Ce qui m’a décidée à ne plus le revoir. »

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« Il a fait des pieds et des mains pour que je vienne vivre avec lui à Montréal. A partir de là, tout a été de mal en pis. » 

Il arrive même à certains phobiques de prendre le risque de se marier. Comme Stéphane, qui compte aujourd’hui deux divorces derrière lui. Depuis six mois, il suit avec succès une psychothérapie: « Trois semaines après mon premier mariage, j’ai commencé à me sentir, par moments, comme un fauve dans une cage. C’était une sensation épouvantable. Je cherchais sans arrêt des noises à ma femme et, bien sûr, cela dégénérait en scènes de ménage. J’étais comme sur des montagnes russes. Tantôt j’adorais ma femme, tantôt je la démolissais, lui reprochant tout et n’importe quoi. Dans ma tête, j’étais convaincu qu’il existait ailleurs une autre femme qui me conviendrait nettement mieux. On a fini par divorcer. Lors de mon second mariage, mon cinéma intérieur a repris de plus belle. Là, j’ai fait vraiment un travail de sape. D’abord psychologiquement, puis physiquement, ce qui a mis un terme à notre union. Aujourd’hui, je culpabilise à l’égard de mes ex-femmes et ne suis pas prêt à me remarier tant j’ai peur de faire du mal. »

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« Trois semaines après mon mariage, j’ai commencé à me sentir comme un fauve en cage. C’était une sensation épouvantable. Je cherchais sans arrêt des chicanes avec à ma femme.»

Bref, épouser un phobique de l’engagement comporte bien des risques, notamment celui de se faire détruire à petit feu. « Dans ce cas, souligne Steven Carter, le dénigrement est une tactique très fréquente. Si vous le menacez de rompre, il se met à pleurer et vous supplie de rester. Vous acceptez? L’espace de quelques semaines, il se montre sous un jour charmant avant de reprendre ses vieilles habitudes. Ses actes comme ses paroles sont chargés à nouveau de messages troubles. Il vous tient à l’écart de certains de ses amis, de sa famille sous des prétextes apparemment plausibles. Il évite de s’impliquer dans vos relations amicales ou familiales, vous traite comme si vous n’aviez plus guère d’importance dans sa vie et peut devenir agressif au lit. Plus le temps passe, plus il se barricade derrière un emploi du temps chargé, écoute distraitement ce que vous lui dites, maugrée quand on lui demande un service, quand il ne sème pas des indices concernant une ex. Plus les mois et les années défilent, plus le phobique dévoile son vrai visage: il n’est plus guère à la maison, ne se donne même pas la peine de vous expliquer ses absences, exige beaucoup de souplesse et d’espace dans l’aménagement de son emploi du temps. Enfin, avant de vous quitter, le phobique de l’engagement essaie par tous les moyens de vous faire porter le blâme ou la responsabilité de la situation. Une fois parti, il se peut qu’il reste inaccessible ou que, loin de vous, son anxiété s’apaise et qu’il éprouve à nouveau des sentiments pour vous. Vous lui manquez! Le voilà donc qui vous rappelle et si vous tombez dans le piège, c’est reparti pour un tour de carrousel. A la différence près que tout se déroule beaucoup plus rapidement. »

Cependant, ne désespérons pas puisque, grâce à la psychothérapie et à la psychanalyse, les phobiques de l’engagement peuvent guérir. Quant à leurs victimes, elles doivent apprendre non seulement à se protéger, mais aussi à faire preuve de lucidité et de vigilance, afin d’identifier ces hommes incapables d’amour, avant de s’engager elles-mêmes.

 

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